Jean Gorin

© Nantes Métropole - musée d'arts - Photo : B.

« Dans les compositions Néoplasiques, se trouve exprimé par l’opposition constante de ses éléments fondamentaux, l’équilibre permanent de l’individuel et de l’universel, du subjectif et de l’objectif, du statique et du dynamique, de la matière et de l’esprit. »

JEAN GORIN

Après des études à l’Académie de la Grande-Chaumière à Paris entre 1915 et 1917, Jean Gorin poursuit sa formation àl’École des Beaux-Arts de Nantes de 1919 à 1922. Il s’établit par la suite à Nort-sur-Erdre, en Loire-Atlantique, où il réside jusqu’en 1937. Là, en solitaire mais informé de la dynamique artistique de son époque, il concentre ses recherches sur le cubisme et le purisme. Ces courants l’incitent à privilégier une construction méticuleuse de son œuvre, mettant de côté les préoccupations de représentation littérale. En s’éloignant de la représentation de la « vie silencieuse » des objets, ses œuvres s’animent d’une vitalité propre, discernable par un observateur attentif. Cette vitalité, retenue mais néanmoins palpable, résulte de l’intensité avec laquelle Gorin épure et clarifie son langage pictural. C’est au cours de cette période, entre 1926 et 1927, que se produit une rencontre déterminante avec Mondrian. Gorin s’approprie initialement le formalisme du néoplasticisme, privilégiant l’utilisation exclusive de la ligne droite et de l’angle droit issu du croisement entre lignes verticales et horizontales. Cependant, il réintroduira plus tard le cercle et les obliques dans ses compositions. Michel Seuphor a fait remarquer que c’est l’exemple de l’attitude morale de Mondrian, plus que sa doctrine, qui a influencé l’orientation future de l’oeuvre de Gorin. Hormis une brève période d’adhésion au néoplasticisme, Gorin en retient essentiellement une palette chromatique réduite aux trois couleurs primaires, au noir et au blanc.

Gorin est aussi profondément influencé par l’intérêt que portent les néo-plasticistes à la question du dépassement du tableau et de son expansion à la dimension de l’organisation plastique de l’espace architectural dans son ensemble. Ce désir de pousser la dématérialisation de l’œuvre plus loin conduit Gorin, en 1931, à introduire la troisième dimension dans ses compositions. Il remplace les barres noires structurant les champs colorés des toiles néo-plastiques par un jeu subtil d’ombres et de lumières, engendré par l’incision de la surface en reliefs peu profonds.

Dans les « reliefs plats » des années 1930, il se limite à décaler des plans parallèles par rapport à l’arrière-plan de la composition. Ici, la couleur, appliquée en façade, et le relief, en creux, agissent comme éléments négatifs. Mais juste après la Seconde Guerre mondiale, Gorin commence à intégrer dans ses compositions des éléments en relief de plus en plus saillants, formant un relief ‘positif’. C’est dans les années 1945-1946 qu’il incorpore des plans perpendiculaires à l’arrière-plan et réalise ses premières constructions spatiales en plein air : consistant en des carrés d’acier noir et des panneaux colorés. Devant la toile se construit une zone dont la complexité structurelle s’accroît, animée par le jeu dynamique d’ombres changeantes qui se chevauchent. De plus, la couleur n’est plus confinée aux surfaces parallèles à l’arrière-plan mais occupe également celles qui sont perpendiculaires, interagissant par réflexion plutôt que par une application directe.

Les compositions de Gorin illustrent avec force le contraste entre l'aspiration à des formes d'une pure harmonie et la déstructuration de l'espace que favorise obstinément un mouvement opposé. Ce dernier, bien qu'il opère selon une méthode presque automatique, reste tangible et porte en lui un potentiel de perturbation. En revendiquant pleinement l'héritage de Mondrian, Gorin ne se contente pas d'honorer la démarche initiée par son prédécesseur ; il contribue activement à la consolidation et à l'évolution de l'art abstrait géométrique avec une générosité et une conviction profondes. Il combine une technique austère mais parfaitement adaptée à son art avec une sensibilité finement équilibrée, offrant ainsi une œuvre empreinte d'une rigueur quasi mathématique. Son art s'ancre dans une esthétique du volume qui explore la profondeur et tend vers la synthèse d'une architecture née de l'épure sélective de la peinture et de la sculpture. Gorin enrichit la tranquillité et la fixité du néoplasticisme de Mondrian avec une dimension de dynamisme réfléchi, manifeste dans les surfaces et les volumes évoluant au gré de l'architecture fonctionnelle. Dans ses tableaux, l'agencement des couleurs, réparties en lignes et disposées sur des plans en relief, modifie profondément leurs propriétés chromatiques. Le caractère inébranlable du système sur lequel il repose et la grandeur qui en émane impressionnent sans faille. La force visuelle des œuvres de Gorin n’émane pas seulement d'une inspiration intrinsèque, mais aussi d'une recherche esthétique délibérée qui imprègne chaque composition.

L’objectif de Gorin, selon ses propres termes, était d'« architecturer plastiquement l’espace interne en harmonie avec l’espace externe ». Cet idéal représente la quintessence de ses recherches artistiques, atteignant une plénitude rarement accomplie par d’autres formes d’expression. Ses expérimentations sur l'utilisation sculpturale des couleurs culminent en 1970 avec la conception de la « Structure plastique de la maison spatiale ». En complément à son travail sur les reliefs, Gorin réalise également plusieurs structures spatiales de grande envergure : en 1955 pour la ville de Rome, en 1957 pour Mexico et en 1968 pour l’Institut Universitaire de Technologie de Nancy, marquant son engagement dans la création d’œuvres sculpturales monumentales.

« Cet art parfaitement dépouillé, et que certains jugeront sans doute froid et dénué de sensibilité, procède en fait de la pensée la plus généreuse. Une part d’intuition est préservée à la source de chacune des œuvres, même si elle se dissimule volontairement sous une apparence géométrique. Contradictions profondes qui dévoilent à la fois l’ascèse de l’artiste et la complexité de l’art : ce qui peut d’un effort pour concilier des aspirations divergentes, principe géométrique et épanouissement de la sensibilité, abstraction et désir de servir la vie. Et la discrétion de l’homme ne doit pas cacher l’audace, l’obstination et la noblesse de la démarche. »

Marianne Le Pommeré

Œuvres dans les musées et collections publiques

Centre National d’Art contemporain, Paris

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris

Musée des Beaux-Arts, Bordeaux

Musée d’Art et d’Industrie, Saint-Etienne

Musée de peinture et de sculpture, Grenoble

Musée Progressif, Bâle

Stedelijk Museum, Amsterdam

Walter Art Center, Minneapolis

Sélection des principales expositions

1989, Galerie Schlégl, Zürich, Suisse

1969, Rétrospective, Centre national d’Art contemporain, Paris, France

1965, Rétrospective, Musée de Beaux-Arts, Nantes, France

1960, Rétrospective, Musée de l’art wallon, Liège, Belgique

1957, Première exposition personnelle, Galerie Colette Allendy, Paris

1928, Première exposition avec le groupe STUCA, Ronchin (banlieue de Lille), Atelier Art nouveau

Précédent
Précédent

Hans Jörg Glattfelder

Suivant
Suivant

Isabelle De Gouyon Matignon